L'Espérance, statue de Jacques Du Brœucq, vers 1541-1545,
Collégiale Sainte-Waudru de Mons, Belgique.
Notre TCF Gérard Lefèvre nous entraîne dans une réflexion qui invite à transformer l’espoir en l’espérance manque. Il écrit :
Il faudra attendre 7 à 800 ans avant JC, pour entendre les prophètes Isaïe et Amos, entre autres, annoncer un Messie annonciateur d’un avenir radieux et céleste, concrétisation religieuse de « l’espérance ».
Dans la mythologie grecque, Prométhée vola le feu aux Dieux pour le donner aux hommes.
Pour se venger, Zeus ordonna à Vulcain de créer une femme faite de terre et d’eau. Elle reçut des Dieux de nombreux dons : beauté, flatterie, amabilité, adresse, grâce, intelligence, mais aussi l’art de la tromperie et de la séduction.
Ils lui donnèrent le nom de Pandore, qui en grec signifie « doté de tous les dons ». Elle fut ensuite envoyée chez Prométhée.
Épiméthée, le frère de celui-ci, se laissa séduire et finit par l’épouser. Le jour de leur mariage, on remit à Pandore une jarre dans laquelle se trouvaient tous les maux de l’humanité.
On lui interdit de l’ouvrir. Par curiosité, elle ne respecta pas la condition et tous les maux s’évadèrent pour se répandre sur la Terre.
Seule l’espérance plus lente à réagir, y resta enfermée, ne permettant donc même pas aux hommes de supporter les malheurs qui s’abattaient sur eux.
C’est à partir de ce mythe qu’est née l’expression « boîte de Pandore ».
Wikipedia.
L’objet excitant la curiosité de Pandore pose problème.
En effet, si l’expression proverbiale, bien connue à notre époque, évoque une boîte, tous les textes antiques parlent d’une jarre. Il s’agit, pour être plus exact, d’un pithos, terme grec correspondant au latin dolium. Ces mots ne désignent du reste pas un petit pot à eau qu’on poserait sur la table, mais ils qualifient un vase de grande taille qui servait à stocker les denrées les plus diverses : vin, huile, céréales.
C’est du reste un pithos que le philosophe Diogène avait choisi comme demeure, le tonneau de bois étant inconnu à son époque (c’est une invention des Gaulois). Dans l’Antiquité, il n’y a pas plus de tonneau de Diogène que de boîte de Pandore.
Jean-Léon Gérôme (1824–1904), Le philosophe grec Diogène (404-323 av. J.-C.), 1860, Walters Art Museum
Force ou faiblesse ? Réalité ou illusion ? Vertu ou escroquerie ? Ces questions sont en apparence simples et manichéennes. En fait, les réponses sont beaucoup plus complexes car, à notre image, l’espérance peut-être tout et son contraire en même temps.
Le Petit Robert : Sentiment qui fait entrevoir comme probable la réalisation de ce que l'on désire. Le Larousse actuel définit l’espérance comme un « sentiment qui porte à considérer ce que l’on désire comme réalisable. » Il y a donc, une imprécision dans ces définitions.
Je retiendrai donc le mot sentiment. Mais un sentiment individuel flou, dans la mesure où cette définition implique d’utiliser à haute dose la méthode Coué. Elle tend en effet à nous faire prendre nos désirs pour des réalités. Une citation d’A. Camus nous met en garde « tout le malheur des hommes vient de l’espérance ». Et pourtant comment vivre sans espérance ?
Descartes a écrit : « l’espérance est une disposition de l’âme à se persuader que ce qu’elle désire adviendra, laquelle est causée par un mouvement particulier des esprits, à savoir par celui de la joie et du désir, ensemble ». Il est vrai que Descartes, en son siècle, était imprégné par la religion catholique qui a promu l’espérance au rang de vertu théologale en compagnie de la foi et de la charité.
Peut-on encore espérer l’avenir comme porteur de sens, de rêve et donc d’espoir ?
Il convient alors de noter une spécificité majeure de la langue française, en effet, elle seule dispose de deux termes distincts pour évoquer espoir et espérance, alors qu’en grec ancien elpis, en latin spes, en allemand hoffnung, en anglais hope, tous ces mots officient indifféremment dans les deux cas.
Espoir et espérance sont deux manières différentes d’attendre. L’espoir est le fait d’attendre et désirer quelque chose de meilleur, pour soi ou pour les autres : il peut être considéré comme une émotion ou une passion. L’espérance est une confiance pure et désintéressée en l’avenir. C’est une valeur présente dans diverses traditions religieuses ou spirituelles, du bouddhisme à la franc-maçonnerie.
L’espoir est profane et temporel alors que l’espérance s’épanouit dans la spiritualité et l’atemporalité (Existence qui se trouve hors du temps). Les principales différences entre ces deux notions sont les suivantes :
- l’espoir est source de joie et de désir alors que l’espérance est associée à la prudence et à la patience,
- l’espoir peut éminemment être déçu, ce qui n’est pas le cas pour l’espérance,
- l’espoir relève souvent d'une illusion, de ce qu'on qualifierait de biais cognitifs ou dogmatiques alors que l’espérance relève d'une pure intuition,
- l’espoir ne dure pas, alors que l’espérance ne s’éteint jamais, notamment,
- l’espoir meurt avec l’échec, ce qui n’est pas le cas pour l’espérance.
Ce sont ces différences qui ont produit toute une littérature défavorable à l'espoir. Depuis Épicure et les stoïciens jusqu’à Camus et Comte-Sponville, en passant par Spinoza et Schopenhauer, il a été de bon ton de rappeler l'illusion nous détournant de la réalité, nous exilant du présent, nous troublant en nous faisant éprouver la crainte d’être déçus.
Une sorte de principe de précaution visant à éviter la crainte et la déception causées par des espoirs déçus a confiné l'espoir en tant qu'émotion négative. Dans « L'été à Alger », Camus va même jusqu'à dire « Car l'espoir, au contraire de ce qu'on croit, équivaut à la résignation. Et vivre, c'est ne pas se résigner ».
L’espoir est une disposition de l'esprit humain reposant sur l'attente d'une situation meilleure à celle existante. Considéré comme une émotion, voire comme une passion, l'espoir est à ce titre opposé au désespoir.
Ayant fait l'objet de nombreuses études philosophiques, le mot « espoir » est à distinguer du mot « espérance », alors qu'il est au contraire coutume de considérer les deux termes comme synonymes.
La question de l’espoir est abordée différemment par la philosophie et la religion. D’un point de vue religieux, l’espoir est indispensable ; les religions qui ne prôneraient pas une vie meilleure dans l’au-delà n’auraient rien à offrir pour l’éternité dont elles soutiennent connaître les tenants et aboutissants, au moins dans les grandes lignes.
Du point de vue philosophique, dont les fondements occidentaux sont grecs, l’espoir est un piège pour l’homme. Cela peut paraître étonnant mais cette vision relève d’une logique si l’on porte attention aux principes énoncés notamment par les stoïciens, qui ne sont pas les seuls à se méfier de l’espoir.
Dès le Moyen Age, les scolastiques chrétiens, au fait de la philosophie grecque, considérèrent en toute logique que l’espoir laissé aux humains était une bonne chose, un petit cadeau divin sur lequel l’homme pourrait compter. Mais pour les Grecs anciens, l’espoir est tout autre, et aux yeux de la philosophie aussi.
N’oublions pas que la philosophie, à l’inverse des religions, ne promet rien (un philosophe qui promet ou affirme n’est plus un philosophe, c’est un prophète) ; l’idéal de la philosophie est la liberté, la liberté par la conscience. Tout au moins est-ce ce qu’elle propose et non impose ; elle libère l’homme – ou, plus exactement, son sens est de le libérer – car elle conduit à nous détacher des illusions qui nous asservissent, des chimères qui nous ôtent la conscience de ce que nous sommes, comme de nos possibilités – certes limitées – et de la compréhension, au-delà de l’individuation, de notre place dans l’univers.
De concert, les Maçons marchent à la recherche du temps d’innocence, guidés par leur inaccessible étoile. Voilà l’espérance où ils puisent le courage demandé par Sénèque à l’approche de la mort.
GL 03/2023
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