top of page
Photo du rédacteurITER

Cahier Bleu n° 46 : Morale et Éthique (1ère partie / 3), L’idéal de l’Universel.

Portrait from New York World-Telegram and Sun Photograph Collection, 1957

 

Ce texte est présenté en trois parties pour en alléger la lecture.

Ceci est la première partie, la deuxième et la troisième seront publiées prochainement.

 

L’écrivain Albert Camus, disparu accidentellement, et trop tôt pour compenser par sa pensée l’intellectualisme totalitaire débridé qui régnait alors, est resté dans les mémoires, entre autres, pour avoir écrit cette célèbre sentence : « un homme, ça s’empêche[1] ! ».

Cet appel à la morale conduit à se poser la question : « Au fait, qu’est-ce qui fait qu’un Franc-maçon s’empêcherait, et sur quoi ? »


L’imposition à lui d’une Loi ou Morale « universelle ».

Parler de l’homme en général fait référence à l’être en tant que catégorie homogène, à pratiques communes cohérentes et légitimes. Donc astreint à un code moral commun, autrement dit à une « morale universelle ». Par « universel », on entend ce sur quoi tous les hommes peuvent s’accorder, parce que cela ne contredit pas leur expérience de vie.

Quelle serait donc cette « Loi ou Morale Universelle » ou, autrement dit, quels seraient les interdits, acceptables par tous les humains, quelles que soient leur culture, leurs croyances, leurs pratiques ?


Cette tentative de « Morale universelle » intitulée « Loi universelle » avait déjà été identifiée aux « Lois Noachides (ou Noahides) ». Quels étaient les interdits « noachides » ? ; ils étaient au nombre de sept[2].

1.     Interdiction de se faire justice soi-même, mais se soumettre aux jugements des tribunaux ;

2.     Interdiction du blasphème ;

3.     Interdiction l’idolâtrie;

4.     Interdiction des unions illicites : inceste, sodomie, zoophilie, relations sexuelles avec une femme mariée (« adultère ») ;

5.     Interdiction du meurtre ;

6.     Interdiction du vol ;

7.     Interdiction de manger la chair d’un animal vivant.

D’après la Bible, où ces interdits sont sinon explicités en totalité mais certains clairement décrits, on constate que ces Lois Noachides ont été conçues avant la Loi Écrite (les interdits et prescriptions de la Torah). Ce sont les commentaires rabbiniques qui ont explicité la liste des sept interdits.

Dans les Actes des Apôtres, Luc raconte que, lors du Concile de Jérusalem, sous la présidence de Jacques et en présence de Pierre, on convint d'imposer aux païens qui se convertissaient en la foi en Jésus-Christ (qui ne s'appelait pas encore le christianisme), des obligations dont il donne à trois reprises la liste (Ac 15, 20-29; 21, 25) :

• s'abstenir des viandes immolées aux idoles (comparer la troisième loi noahide : interdiction de l'idolâtrie) ;

• s'abstenir de l'impudicité (comparer la quatrième loi noahide : interdiction des unions illicites, c'est-à-dire les relations hors mariage et l'inceste) ;

• s'abstenir des animaux étouffés, c'est-à-dire des viandes non saignées (comparer la dernière loi noahide, dont la formulation rabbinique, toutefois, ne correspond pas exactement : interdiction d’arracher un membre d'un animal vivant) ;

• s'abstenir du sang (comparer la cinquième loi noachide ; interdiction de l'assassinat).

Les Livres Sibyllins[3] (ou « Livre des Sibylles)  (fin du Ier siècle) présentent les Lois Noachides comme des lois morales que toutes les nations ont l’obligation (notons le terme !) d’observer[4]. L’Antiquité les concevait donc comme ayant valeur de « Loi ou Morale universelle ».

La Première épître aux Corinthiens fera allusion aux deux premières (I Co. 5, 1 : allusion à l'interdit de l'inceste ; I Co. 8, 1ss : allusion à l’interdit des viandes offertes aux idoles), mais aussi à la première loi noachide (obligation de respecter les décisions des tribunaux et  de ne pas se faire justice soi-même, v. I Co. 6, 1-10) et à la sixième (interdiction du vol, v. I Co. 6, 10) ; quant à la deuxième (interdiction de blasphémer), elle pourrait être évoquée dans d'autres passages pauliniens, comme l'épître aux Romains, 2, 24[5].


Une Morale universelle est-elle possible ?

Arche de Noé, Edward Hicks, 1780 – 1849.


Tout système de morale est composé d’interdits, imposés de l’extérieur ; les interdits peuvent être, selon les cas, d’origine sacrée, théologique, religieuse, imposés par une autorité civile extérieure ou autre. Et les interdits et leurs sanctions varient naturellement selon les lieux, les temps et les cultures. Il apparaît donc que le concept de « morale universelle » est un oxymore, aucune morale ne pouvant prétendre raisonnablement à l’universalité, même au sein d’un même espace civilisationnel homogène. 

Si un tel concept d’universalité de mœurs à obéir existe au niveau universel, il ne peut s’agir de « morale » mais d’autre chose : d’un mode de pensée unique et de vie imposé par un régime totalitaire, d’un terrorisme idéologique, voire d’un conditionnement politico-économique. Fondé sur l’égarement, la fabrication de la terreur et la coercition de la sanction, l’application forcée d’une forme « sanitaire » de « morale universelle » s’est accompagnée d’un contrôle social à surveillance technologique, avec matraquage de slogans moralisateurs culpabilisants (« tous vaccinés, tous protégés ! »), comme la crise du Covid nous a donné de la subir ; avec l’exclusion hors de l’« universalité », tous ceux qui n’ont pas voulu se soumettre au « diktat moralisateur universel ».


Au XVIIIe siècle, l’idée d’universalité donc de « Morale Universelle » était dans l’air du temps.

Le sujet de l’existence possible d’une Morale Universelle a fait l’objet aux XVIIe et XVIIIe de travaux de plusieurs philosophes : Montaigne, Rousseau, Voltaire, Kant, Hume, etc., et cela, à une époque où Newton bouleversait la connaissance scientifique par une théorie sur la Nature que l’on pourrait qualifier « d’absolue » (temps, espace, lois de l’univers). Son influence sur l’universalité de la Morale, devenant absolue, renvoyait à l’erreur l’idée de moralités « relatives » selon les peuples et les circonstances. En tous cas, une Morale relative ne pouvait convenir pour soutenir intellectuellement et pratiquement le projet d’une « république universelle » composés de « citoyens du monde », auquel s’associera la Maçonnerie spéculative naissante, en le dotant du caractère de fraternité universelle.

C’est alors, et dans ce but que le concept de « morale » trop relatif et particulier, fait place à celui d’« éthique », au sens spinozien du terme.


C’est Spinoza en particulier, dont l’œuvre philosophique s’intitule … « L’Éthique », reprenant des pensées antérieures (Hobbes par exemple), qui a théorisé l’éthique comme facteur de liberté et réduit la morale à celui de servitude volontaire sous apparence d’engagement et de liberté.

Penser « Éthique Universelle », c’est penser que les multiples points de vue moraux divisent les hommes plus qu’ils les n’unissent. L’éthique, c’est penser que ce qui est bon pour soi doit aussi être bon pour autrui, et que ce qui est mauvais pour soi doit aussi l’être pour autrui.

De ce point de vue, la valeur éthique d’une pensée, d’une volonté et d’une action doit être appréciée en fonction de sa capacité d’universalisation.

L’éthique est une obligation intérieure, au-delà du respect de la morale « locale » que tout bon citoyen ou « bon « croyant » se doit par ailleurs de respecter pour ne pas se mettre hors la loi.


Le foyer de l’éthique se trouve dans la raison humaine, et non dans des interdits imposés de l’extérieur, donc accessible à chacun, car la raison se trouve en tout homme, d’où sa valeur universelle. Il s’ensuit que les interdits moraux, corolaires de l’Éthique Universelle, sont dans notre raison. Ils sont intériorisés. Si ces interdits étaient d’origine sacrée, théologique, religieuse, ou imposés par une autorité extérieure, la Morale et les interdits correspondants ne pourraient être universels, mais seulement relatifs. Il s’ensuit que l’appréciation du caractère d’universalité ne se trouve pas dans le sentiment personnel, mais dans la raison, voire dans l’intuition que chacun peut avoir, comme indiqué supra, de la capacité d’universalisation de ses pensées, de ses volontés et de ses actes, et non dans les interdits de morale, toujours relatifs aux hommes et aux lieux.


La place manque ici pour développer ces grandes idées. Nous nous contenterons de citer trois pensées, d’Immanuel Kant[6], philosophe de référence sur le sujet, pour illustrer le propos :

« Agis uniquement d'après une maxime telle que tu puisses vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle. »[7]

« Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature. »

« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans la personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. ».

Cela s’appelle l’éthique !

Il n’y a universalité de l’éthique que s’il y valeur d’universalisation des fins de l’intention !


Fin de la première partie.

La deuxième et la troisième parties seront publiées successivement prochainement.


[1] Albert Camus(1913-1960) Prix Nobel de Littérature en 1957, Le premier homme.

[2] Il existe quelques variantes de nombre et de traduction de ces interdits (cf. Talmud de Babylone Sanhédrin 56a, sqq. et Genèse Raba 24, 5).

[3] À ne pas confondre avec Les Oracles Sibyllins »

[4] Cf. Naomi G. Cohen, “Taryag and the Noahide Commandments”, University of Haifa, Israel. Journal of Jewish Studies Spring 1992 | vol. 43 | no. 1 | pp. 046–057

[5] In Wikipedia, Article « Lois Noahides” [sic].

[6] Fondement de la métaphysique des mœurs (Première section, 13)

[7] Les maximes (...) du sens commun (...) sont les maximes suivantes : 1. Penser par soi-même; 2. Penser en se mettant à la place de tout autre; 3. Toujours penser en accord avec soi-même. La première maxime est la maxime de la pensée sans préjugés, la seconde maxime est celle de la pensée élargie, la troisième maxime est celle de la pensée conséquente. La première maxime est celle d'une pensée qui n'est jamais passive. On appelle préjugé la tendance à la passivité et par conséquent à l'hétéronomie de la raison (...). En ce qui concerne la seconde maxime de la pensée nous sommes bien habitués par ailleurs à appeler étroit d'esprit (borné, le contraire d'élargi) celui dont les talents ne suffisent pas à un usage important (...). Il n'est pas en ceci question des facultés de la connaissance, mais de la manière de penser et de faire de la pensée un usage final; et si petit selon l'extension et le degré que soit le champ couvert par les dons naturels de l'homme, c'est là ce qui montre cependant un homme d'esprit ouvert que de pouvoir s'élever au-dessus des conditions subjectives du jugement, en lesquelles tant d'autres se cramponnent, et de pouvoir réfléchir sur son propre jugement à partir d'un point de vue universel (qu'il ne peut déterminer qu'en se plaçant au point de vue d'autrui). C'est la troisième maxime, celle de la manière de penser conséquente, qui est la plus difficile à mettre en œuvre; on ne le peut qu'en liant les deux premières maximes et après avoir acquis une maîtrise rendue parfaite par un exercice répété. In maphilosophie.fr.







136 vues0 commentaire

Comments


bottom of page