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Cahier Bleu n° 40 :Que viennent-ils chercher en Loge ?


Dans un rituel, mais cela vaut pour tous les rites au moins continentaux, nous trouvons dès le début la question et la réponse suivantes :

« Que venons-nous faire en Loge ? »

« Vaincre nos passions, soumettre nos volontés et faire de nouveaux progrès en Maçonnerie. »

Nous notons que la question et la réponse ne comportent que des valeurs morales à construire, mettre à l’épreuve et à partager, sans référence aucune à la spiritualité et encore moins à la religion.


Implications de cette question-réponse.


Nous pouvons en déduire cinq leçons :

1. La présence du mot « nous » indique que la loge est un lieu de travail collectif, un chantier symbolique, et non une salle de « coaching » de développement personnel ou d’exposés d’érudition personnelle.

2. On vient en loge pour « faire », c’est-à-dire pour « produire un résultat », plus exactement pour contribuer à produire un résultat collectif. Sur un chantier, opératif ou symbolique, nous sommes tous interdépendants les uns avec les autres, chacun à son niveau et par sa nature de compétences indispensables à la production collective.

3. On vient en loge pour détruire tous les affects négatifs (les passions qu’il nous est enjoint de vaincre) qui nous éloignent les uns des autres, voire qui nous montent les uns contre les autres, le but étant la « production » de la fraternité franche, sincère et désintéressée.

4. La loge, nous l’avons dit, est un chantier collectif ; il n’est pas réductible ni peut être asservi à nos propres volontés, par exemple volonté de plaire, de se plaire, de s’écouter soi-même, « d’aller à la pêche aux compliments », de faire passer les honneurs avant l’honneur, etc. La loge est un chantier placé, par le choix des Frères, sous l’autorité du Vénérable-Maître en tant que chef de chantier (maîtrise d’œuvre) et non sous sa propriété (maîtrise d’ouvrage). Selon les convictions spirituelles des Frères, le Maître d’ouvrage est le Grand Architecte de l’Univers[1] ou la raison d’être de l’Ordre.

5. L’avancement dans les grades exige de travailler non seulement sur soi, mais aussi sur les textes fondateurs ou doctrinaux de la Franc-maçonnerie, sur les instructions particulières au rite suivi.Contrairement à une idée répandue dans la Maçonnerie continentale, la loge n’est pas un ersatz compensateur d’insuffisances culturelles ou intellectuelles, elle n’est pas un cours de rattrapage de savoirs ratés ou non acquis à l’école. Les progrès à faire en Maçonnerie, sont exclusivement ceux dans « la science maçonnique », c’est-à-dire des acquis par voie de séances d’instruction sur le rituel et à partir de textes que chaque rite propose. Hors de ces travaux, point de progrès en Maçonnerie, car les instructions sont le seul guide qui permet de ne pas nous égarer hors des sentiers maçonniques !


Oui mais « faire » n’est pas « chercher ».

Voilà pour ce que nous venons « faire » en loge. Mais le sujet à aborder est autre ; c’est « que venons-nous chercher en loge « ? C’est évidemment une autre question …

Autre façon de poser le sujet : La Franc-maçonnerie de nos jours : quelle offre ? quelle demande ?

Car si l’on a vu supra ce que la Franc-maçonnerie se propose d’offrir à ses membres de faire comme programme de perfectionnement (vaincre ses passions, soumettre ses volontés et faire de nouveaux progrès en Franc-maçonnerie), la question de ce que ses membres viennent chercher en loge est restée totalement ouverte. S’il n’y a pas une rencontre entre « l’offre » et « la demande », il peut en résulter des aigreurs, des déceptions, des rejets, pour ne pas parler de tensions voire de conflits entre Frères. Ces dernières situations révèlent que le « club de copains » s’est muté en « marigot d’égos », où les copains d’hier s’affrontent en adversaires d’aujourd’hui et cherchent à exister aux dépens des autres. Dans tous les cas ces tristes réalités traduisent clairement que l’initiation n’a pas pénétré et que les querelleurs ont quitté, peut-être depuis longtemps déjà, les rives de la Maçonnerie voire n’y ont jamais posé le pied.

C’est alors que la question nouvelle doit se poser : « La loge a-t-elle répondu aux besoins que ses membres sont venus chercher ? »


Tous Vénérables-Maîtres chefs de chantier ?


Combien de Vénérables-Maîtres se sont-ils sentis « chefs de chantier » ? Et à ce titre, chargés de la construction du Temple universel, se sont-ils intéressés au travail à donner à chacune de leurs ouailles pour qu’elle contribue avec zèle, ferveur et liberté à la construction du chantier, avancent dans la victoire sur leurs passions, dans la soumission de leurs désirs individuels au profit du bien commun de la loge, et aient travaillé pour faire des progrès en Franc-maçonnerie par des séances régulières d’instruction ?

On peut même en venir à soupçonner que, si cette conscience littéralement professionnelle ne s’est pas exercée dans ce sens, c’est peut-être par ignorance du rôle bien compris de chef de chantier, remplacé hélas par celui d’animateur de réunion mensuelle ; ou pire encore, par la volonté du Vénérable-Maître de « s’en laver les mains » pendant son mandat vécu comme une charge administrative, ou par la volonté quelque peu perverse d’Anciens, parfois « gourous », de garder les Frères sous leur emprise, en cultivant leur ignorance, en les privant de bonnes et utiles séances d’instruction pour éviter qu’ils s’aventurent à poser des questions parfois gênantes pour eux ; ou encore en les distrayant et donc les égarant par des sujets de travail sans rapport avec l’esprit du Rite ...


Une réelle difficulté pour répondre aux attentes de chacun et créer un collectif.


Il est vrai que la réponse adéquate aux besoins de chacun est difficile ; elle exige une qualité que le monde profane nous retire chaque jour davantage : l’écoute dans l’intérêt pour autrui. Mais hors de cet effort salutaire, la loge ne peut faire son travail de chantier collectif ; elle devient collection d’individualités sans lien entre elles.

L’expérience conduit à identifier trois grands types d’attente de la part des Frères, en ce qui concerne ce qu’ils viennent chercher en loge. Schématiquement :

- Le Maçon en besoin de simple convivialité venu pour passer un bon moment entre Frères ;

- Le Maçon venu pour entendre de beaux exposés et s’instruire ;

- Le Maçon ritualiste venu pour voir, participer ou réaliser une belle cérémonie bien réussie, et ainsi s’extraire hors de l’espace-temps profane.


Encore ne citons-nous que les raisons « légitimes » de venir en Loge à l’exclusion des vues de réseautage, de zapping, de curiosité voire de séances de thérapie ou de mal psychologique …

Ces trois types sont peu conciliables. Ils existent en proportions différentes, dans chaque loge. Cela est non seulement normal mais aussi recherché pour former une loge diverse, conformément à la raison d’être de la Franc-maçonnerie d’origine : être un centre d‘union fait pour réunir des hommes différents qui, sans elle, seraient restés sans se connaître et à perpétuelle distance. Et c’est bien cela qui fait la difficulté de créer un ensemble solide d’ouvriers unis et motivés vers le même but : la construction du Temple Intérieur personnel et de la fraternité universelle. La loge n’est pas un « melting-pot », où les personnalités individuelles sont niées et fusionnées pour s’unifier ; la loge se doit de respecter la personnalité de chacun.

Ces trois grands types distincts doivent pouvoir trouver en Maçonnerie ce qu’ils sont venus chercher ; et donc être heureux de venir en loge, de participer aux Tenues et de repartir contents et satisfaits en attendant la joie de revenir en loge la fois suivante. En loge-chantier, chacun à sa place, sous réserve que l’on sache ce que chacun est venu y chercher et que le chef du chantier lui donne un travail qui correspond à chaque place. Il est clair que l’on ne peut pas compter seulement sur le lien commun que constitue le rituel. Cela est bien insuffisant, vu la diversité des attentes et l’approximation fréquente du rendu des rituels.

Ajoutons une difficulté supplémentaire mais nécessaire : le niveau de compétence de chacun du fait de leur niveau respectif de maturité professionnelle entre apprentis, compagnons, maîtres, contremaîtres, surveillants, experts, etc. Nous voyons sans peine que nous sommes loin du Vénérable-Maître qui assume tranquillement son mandat annuel sans se poser ces questions, fondamentales cependant pour la loge-chantier et le bien de ses membres.

De ce fait, les loges ressemblent parfois à des réunions où les uns s’activent, et les autres, regardent écoutent plus ou moins attentivement ou … s’assoupissent dans l’attente de la fin de la « planche » interminable ou absconse, ou … pire, (avachis), ils consultent plus ou moins discrètement leur smartphone, tous ceux-là dans l’attente enfin du moment de « détente » de l’agape…


Passer de du travail en loge « à la profane » à l’amour du chantier « en Francs-maçons initiés ».

Mais attention, rappelons l’anecdote : « moi je sue à casser des cailloux du matin au soir ; moi, je m’efforce d’apprendre et de travailler aussi bien que possible car j’ai besoin de progresser pour nourrir ma famille ; moi, je bâtis une cathédrale ». Et tous trois sont sur le même chantier ! Il est facile d’imaginer que probablement le chef de chantier opératif, pour que la construction avance, a dû bien réfléchir aux postes à confier à chacun, afin qu’il n’y ait pas de confusions, d’aigreur, de déceptions, des rejets, de tensions ou de conflits entre les ouvriers.

Le Vénérable-Maître ne devrait-il pas s’investir mentalement et pleinement dans le rôle du chef de chantier éclairé pour créer les conditions humaines et matérielles, afin que chaque ouvrier symbolique trouve dans la loge ce qu’il est venu chercher et que l’initiation, et son effet bénéfique pénètre les corps, les âmes et les esprits pour son propre perfectionnement ?


ITER, 08/2023.

[1] Selon les rites : « Dirige Toi-même les travaux de l’Ordre et les nôtres en particulier. » ou « À la Gloire » — ou « au Nom » — du Grand Architecte de l’Univers, j’ouvre les Travaux. » (Différentes formules).

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